Lu sur le Facebook de Voto, Chair Punk, une longue chronique d’UJHE.
ChrOniQuE // – “Le label des Bérurier Noir : Les Archives de la Zone Mondiale, sortent en 2017 le livre Un jeune homme éventré de FanXoa le chanteur des Bérus (Bérurier Noir) qui a pris le temps de rassembler quelques textes de 1983 pour nous faire partager son contexte sombre de l’époque.
Rien que l’objet dans les mains déclenche l’émotion. Rien qu’en caressant la couverture légèrement granuleuse, on se souvient de la peau rugueuse de nos vingt-ans et de la police qui nous ramassait après le concert. Un papier mat comme Crass qui ne brille pas comme Clash. L’éditeur maison, loin des gros qui rangent leurs titres par chiffre de vente dans les points relais des gares. Un titre rouge bordeaux à boire. Du papier manga intérieur pour accrocher l’encre des illustrations au cutter et au pinceau fou. FanXoa en photo de profil sur le bord de la couverture pour ne pas bouffer tout l’espace offert à un ciel vide échappé d’une banlieue grise. Il remonte sa fermeture éclair sur son nombril en faisant gaffe de ne pas se coincer le sexe. Une casquette militaire sur le front à la Liza Minnelli dans Cabaret de Bob Fosse, portée d’une manière désinvolte à la wech. L’œil dirigé vers son ventre qu’il imagine ouvert pour faire l’inventaire de ses cauchemars. Sa guerre à lui ne se déroule pas dans le territoire ennemi, mais au cœur de son for intérieur, dans les horreurs de ses ancêtres et les mystères de ses pères.
Tout au long d’une vingtaine de textes illustrés, il déballe ses tripes sur la table pour tordre le cou à ses peurs et ses traumatismes. Par l’imaginaire du récit, l’adolescent s’entaille pour sortir ses démons coincés dans ses marionnettes repoussantes. Il leur parle. Il les écoute. Il les charcute et théâtralise l’échange. Quand la vie va plus loin que donner et recevoir, FanXoa se demande comment rendre les horreurs héritées.
Parce qu’il veut se débarrasser de ses cauchemars. Parce qu’il veut s’exorciser lui-même. Parce qu’il faut se nettoyer les yeux comme disait Mishima. Parce qu’il faut arrêter de pourrir. Parce qu’on ne peut pas gerber la maladie du monde indéfiniment. Parce qu’il faut évacuer la peur qui aveugle, FanXoa transforme son stylo en bistouri pour chahuter ses plaies ouvertes : « Les organes restent prisonniers par notre peau et notre égoïsme. C’est pourquoi il faut promettre de rendre la liberté à notre intérieur. Il est nécessaire de s’ouvrir le ventre ».
Le jeune homme éventré scalpe, encre, flingue, émascule, décrit l’horreur du monde qui sommeille dans ses entrailles. Sa sincérité coule le long du tranchant de son glaive. Une main sur l’écrit, l’autre sur l’arme, il fouille à l’intérieur dans les moindres bourrelets de sa chair pour s’amputer de quelques racines nauséabondes de son arbre généalogique : « Je sortais de son étui râpé un rasoir qui avait appartenu à la famille avant. C’était comme un souvenir de ce que je n’avais pas vécu ».
Les contes de FanXoa se sont enfoncés dans mon crâne comme des clous. En lisant, je tripotais mes tripes.
Troublant de lire page 133, une lettre d’une mère à son fils qui remercie sa progéniture d’ouvrir son ventre pour en exposer les déchets en se rappelant qu’elle a fait pareil pour le mettre au monde. Qu’il est rare de ne pas tomber sur une maman gaga qui prend conscience le jour de la naissance de son fils qu’elle donne la mort en puissance à l’heure ou tant d’autres pensent qu’elles ne donnent que la vie.
Toujours ému de lire Virginie Despentes qui se transforme une petite sœur de raïa quand elle évoque ses virées bérurières avant de redevenir notre papesse contemporaine.
Inquiétant de lire le parcours de Fétiche, B+ et Poubelle jusqu’au bout du voyage en pensant à certains des nôtres : « des rats ignobles et propres qui sortent leurs moustaches de haine quand le jour se morfond ». Émouvant de suivre les premières formations bérurières dans le salpêtre, les caves, la Valstar et les démissions de ses fondateurs.
Quand on se croisait dans le treizième, dans les squats, ou sous le chapiteau, nos concepts de vie ne se lisaient pas sur nos badges, mais on sentait bien qu’on était du même bord, celui des imprévisibles, pas celui des champions. Celui des petits Artaud et des petits Genet, pas celui des médaillés. Celui de ceux qui s’expriment avant d’apprendre à le faire.
Je me suis toujours méfié des premiers de la classe qui deviennent la fierté de leurs professeurs. Ils répondent juste. Ils collectionnent les prix. Ils enfilent l’uniforme. Ils flattent l’ego de leurs ainés pour jouirent à leurs tours de quelques abus de pouvoir. Mais pour briller en société et parfaire leurs réflexions, ils enfouissent leurs ardeurs instinctives et leurs pulsions créatives. Ils doivent la fermer tant qu’ils n’ont pas le Bac. Ils étiquettent l’art des autres et consomment sans relâche. Ce sont des petits chefs sans scrupules qui ne mélangent pas les sentiments et le travail.
Face aux bêtes de course victorieuses, s’opposent les bêtes sauvages ténébreuses. Alors que les rats de laboratoire évoquent la guerre par des stratégies et des dates, les rats des égouts ressentent la guerre dans la crasse de leurs tripes. Alors que les rats des villes roulent en conduite accompagnée depuis l’enfance, les rats des égouts s’échappent de leur cage.
FanXoa s’autorise le voyage macabre dans l’enfer de ses entrailles loin des fusibles que sont les autres. Il visite sa douleur et ses travers. Il sent qu’il abrite toutes les horreurs. Il se remémore les premiers coups reçus. Il dévisage les absents. Sa grand-mère cachait quelque chose qu’il voulait savoir. Il a subit parce qu’il était trop jeune mais il n’est pas resté insoumis. Il se penche sur les horreurs de Sevevo du 10 juillet 76. Il dénonce l’injustice : « Quelqu’un qui n’avait rien à faire ici et qui gisait là ». Il évoque le viol, la sexualité, le cuir, le sado-masochisme et le fétichisme. Il se sait : « Patient et cruel comme un insecte ». Il écrit et peint des œuvres avec les excréments de sa tête : « Charlotte était éclaboussée de cervelle et ne disait rien ». Il s’ampute d’une partie pour sauver le reste. Il décide d’en finir avec les Bérus dans un concert qui enfante le groupe. Il cogite tant qu’il peut car : « Les vieux tombent comme des quilles idiotes ».
Voto, auteur du livre CHAIR PUNK aux éditions Fauves Fauves Editions // #chairpunk
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