Tiphaine Calmettes – Prolonger l’interrogation

A l’occasion de La Mêlée (17 septembre / 31 octobre 2019) en résonance avec la Biennale d’art contemporain de Lyon : Tiphaine Calmettes, “La terre embrasse le sol”.

Lorsque le temps, la pluie, le vent, les infiltrations, ont eu raison du travail de Tiphaine Calmettes et de son équipe dans le jardin de l’ENS de Lyon, la terre a effectivement embrassé le sol et l’artiste de ré-intituler son œuvre éphémère “Leçon d’impermanence”. Rien n’est fait pour durer, tout est laboratoire.

Entre lectures performées, co-ingestion participative, inhalation sublimée, espaces inventés et investis, mobilier agissant, prises de paroles, nourritures terrestres du corps, de l’esprit et d’ailleurs, réflexion sur nos usages et ses suites… tout son travail implique la recherche existentielle de la possibilité d’un commun sociable, d’un partage équitable, d’un enseignement gratuit, d’un agir et dire ensemble sans contraintes. Comme elle le décrit elle-même il s’agit de la “mise en mouvement d’une pensée”.

L’artiste amène le spectateur à devenir cet être agissant mobilisé par des expériences dégustatives, olfactives, tactiles, sensorielles, pratiques ou méditatives toujours en interaction avec le corps. Les mains dans la terre, les pieds dans l’herbe fraiche, la tête dans les étoiles, le corps épouse la matière par la magie des sens. Chaque projet est une projection de vie, une construction intellectuelle soigneusement élaborée qui farfouille les profondeurs de l’âme. Chaque projet repousse les normes établies de l’art pictural et statuaire : de la figure anthropomorphique au partage d’un pain en forme de main, symbolisant une anthropophagie refoulée, l’artiste explore les profondeurs de la commensalité.

Le vivant induit un dialogue, une adaptabilité réciproque et un rapport de soin sur le long terme. Les savoirs et les faires se traduisent avant tout par des relations et non par des rapports ou des actions ponctuels. Aussi, il y a pour moi une incompatibilité de la production artistique avec l’urgence, l’accumulation et la productivité. Dès lors que nous considérons notre environnement et l’impact de nos gestes, nous sommes dans un temps qui dépasse notre propre corps et l’échelle de la vie humaine. [Tiphaine Calmettes, extrait du livret La Mêlée, entretien avec Florence Meysonnier et Olivier Hamant]

Hors du circuit classique et mercantile de l’art, Tiphaine Calmettes questionne notre temps, explore nos esprits pour faire naître une sensation d’une profonde quiétude, la force originelle qui sommeille en chacun de nous, la pensée magique que l’on a oubliée. Son expérience artistique en Mongolie lui a démontré que la geste artistique s’élaborait par, au travers, dans le corps. L’engagement est radical. L’émotion surgit d’elle-même. La nature reprend ses droits.

En cela, son travail est une quête. Quête d’un commun à construire, aussi naturel que fragile et rare qu’une pluie étoilée. Confrontant le chaman à l’esprit scientifique, elle questionne la vie d’aujourd’hui sur ces racines antiques et ancestrales pour susciter d’autres questionnements. Ses objets sont en mouvement, leur utilité est interrogée, les interactions et les usages que l’on entretient avec eux sont décodés. Il s’agit de produire ce nouveau récit sur la terre et d’inventer de nouvelles formes d’usages. Il s’agit de prolonger l’interrogation de notre humanité sur cette terre encore largement inconnue. Une expérience “terre à terre” et qui pourtant n’a pas rien de mystique. Dans sa Mêlée, la réalisation artistique entre en discussion et résonance avec les sciences naturelles, la biologie, l’interaction humaine et les sciences sociales donnant naissance à une biopolitique de l’usage de la terre.

Pour ainsi dire, avec elle, l’art est une utopie à notre portée.

FX

Image “à la une” : Tiphaine Calmettes dans “Prolifération, enracinement, environnement” ; Sans titre, 2018. Kéfir de fruits, sauce fraiche et glaçons d’infusion d’armoise.

Pour en savoir plus : http://tiphaine.calmettes.syntone.org/