Hacker l’histoire dominante

A lire sur ce blog, une chronique de Clark Isa Pulchella.


HACKER [1] L’HISTOIRE DOMINANTE

Depuis ce mardi 27 février 2024, la BnF expose dans sa galerie des donateurs/donatrices les archives de FanXoa et mastO, membres de plusieurs collectifs, Bérurier Noir, Lucrate Milk, Molodoï, …

Les deux donateurs, mastO et FanXoa, font partie d’une constellation de groupes et entités passés et actuels du punk et punk-queer. C’est ce que l’on voit en entrant dans l’exposition grâce à un organigramme composé, à partir d’une recherche faite dans leurs archives, par Émilie Kaftan, chargée de collections au département de la Musique, cocuratrice de l’exposition avec Benoît Cailmail, adjoint au directeur du département de la Musique.

En pénétrant l’espace d’exposition, nous partons à la rencontre d’une force esthétique qui sort du sol et des tripes avant de rencontrer des groupes de musique connus pour leurs messages politiques.

Qu’est-ce qu’une esthétique politique ? C’est cette question qui est à l’œuvre. Qu’est-ce qu’une production d’œuvres punk – faites avec des bouts de ficelle, des assemblages, des collages, de signes, de dessins, d’écritures – nous fait faire comme déplacement ? C’est cette invitation à penser nos outils d’expression qui opère.

C’est ainsi une esthétique politique en soi que l’on observe, avant même de parler d’un art porteur de slogans politiques. 

Do it yourself, elle ose tout. Elle est foutraque, sans technicité revendiquée, sans conceptualisation conceptualisée.

Parmi les premières œuvres rencontrées, le pantin punk de FanXoa concentre un détournement d’objets crispants et de signes violents et évocateurs de guerres et d’atrocités. 

Il nous montre une force créatrice qui invite à jouer, à habiter et travailler le monde en provateurices pour déjouer celui qui nous est quotidiennement imposé, lisse, aux violences sournoises et trop mal dénoncées (policières, capitalistes, d’État, etc.). 

Ensuite, une photo de mastO. Son visage est couvert de boutons et aussi porteur de points rouges sur le crâne. Il porte un t-shirt déchiré jaune à pois tout aussi rouges. Il est beau et monstre. Il est répulsif et joyeusement attractif. Il donne envie d’emboîter le pas. Il donne envie de travailler son look, sa façon d’être, de jouer avec des “défauts” magnifiés. Il donne envie d’avoir des cicatrices et de se laisser pousser tous les poils.

Toute l’exposition nous rappelle ce que nous aimons dans le punk (dont tout le monde veut la peau à force de dead par-ci et dead par-là. Pourquoi ?). C’est un appel à des forces encore vivaces (comme une mauvaise herbe amie et nécessaire) car archivables mais vivantes, porteuses de la transmission des possibles et de tous les détournements à activer. 

La liberté est ici celle de corps-monstres et leurs outils qui s’exposent comme d’autres possibles. Leur beauté appelle à aimer ce qui n’est pas aimable. Ces possibles, on peut les retrouver aujourd’hui dans des mondes queer, autres monstres parias et magnifiques. Ceux qui portent aujourd’hui les nouveaux espoirs de transformation profonde. Nos utopies et tendresses radicales [2].

Dans toute la suite de l’exposition, les objets, les dessins, les affiches appellent à arborer des messages plus forts que ce qu’ils racontent. Descendre dans la rue c’est la transformer, c’est l’habiter en la perturbant. C’est la rendre autrement inquiétante car un changement de paysage s’impose. Ce paysage est aussi multiculturel. Il ose tout, il mixe, il mélange tout. 

Elisabeth Stephens disait, en parlant d’écosexualité, si tu n’as honte de rien, si tu ne te laisses pas imposer la honte, arme de notre société mortifère, alors tu es libre de faire ce que tu veux. 

L’exposition des œuvres issues des archives de mastO et FanXoa nous dit ça.

Et c’est d’autant plus opérant que ces œuvres viennent de façon absurde déformer les espaces trop lisses de nos institutions.

Y’en a de la croix gammée dans cette expo. Ces croix-là n’appartiennent pas qu’au nazisme. Elles sont le miroir de la guerre, du militarisme, de la violence instituée.Ici, en emboitant le pas des Sex Pistols et Vivienne Westwood, détournées, elles provoquent pour dire Fuck Off aux fascismes et Fuck Off à la bienpensance.

Le soir du vernissage, l’exposition était accompagnée d’un Manifeste Dragon (à voir sur la chaîne youtube d’Alice’s Punk Corner) déclamé par FanXoa et accompagné de Masto pour dire que la culture est essentielle et qu’elle se fait dans les lieux de vie, dans des alternatives et des mondes occupés et habités par des artistes. Nous sommes touXtes des artistes et des agitéeXs. Loran, membre fondateur de Bérurier Noir, était là malgré son absence. Celle-ci exprimait un message politique aussi, et il a été entendu.

La CGT est venu défendre des droits en chantant Rachida t’est pas là mais nous On est là.

Oui, on est là et on occupe un peu le terrain !

C’est encadré. C’est archivé dans un lieu du service public avant tout fréquenté par des jeunes chercheurx en quête de savoirs préservés qui ne demandent qu’à dialoguer avec des savoirs vernaculaires. Tout le monde paye pour ça. C’est un bout de nos impôts qui ne servira pas à des profiteurs, mais qui viendra sainement perturber une culture construite majoritairement par des hommes blancs occidentaux bien installés dans les lieux de pouvoir.

Le punk au milieu de la BnF, c’est changer ce paysage. C’est accéder à des alchimies pour le futur.

Et puis c’est une affaire collective. Tout parle du collectif, du faire ensemble et des solidarités profondes. 

Touxtes des agitéexs, les mêmes que l’on retrouve sur le grand collage de FanXoa présent dans l’exposition Salut à toi !, à Antre Peaux à Bourges.

Je le répète, c’est une affaire collective et solidaire. Les archives de FanXoa et mastO parlent de leur porosité à des influences venues d’ailleurs comme nécessaires à leurs créations. Et à leurs vies. Dans ce principe fort de solidarité, et dans un contexte où la réappropriation culturelle outrageuse n’était pas encore dénoncée, ce qui est dit, c’est que les cultures des autres, et leurs luttes, nous sont nécessaires car elles nous font penser et agir autrement. Elles viennent perturber des chemins balisés. Elles nous appellent à fendre avec les outils des arts martiaux un ennemi de l’ordre autoritaire et dominateur.

Le monde dominant s’est toujours acharné à écrire des histoires faites d’effacements : effacement des savoirs populaires, effacement des femmes, effacement des alternatives, effacement des minorités, effacements des malades, des personnes mises en situation de handicape, de tout ce qui est AUTRE et hors norme. Travailler nos archives, ce n’est pas enterrer mais préserver des histoires et les rendre accessibles. Il s’agit maintenant de choisir ce que sont nos archives.

Merci à cette petite équipe de la BnF d’œuvrer à lutter avec les moyens dont ielles disposent contre une politique de l’effacement.

Espérons que le hacking de l’histoire dominante (pardons pour la répétition, elle est significative) se poursuive !

Texte et photos : Clark Isa Pulchella, 28/02/2024.

Notes

[1] Pour en savoir plus sur le sens de Hacker une référence est le manifeste Hacker : https://hackermanifesto.org/fr/francais/hacking-fr/ de de McKenzie Wark ou l’Ethique Hacker de Pekka Himanen.

[2] Utopie Radicale, un livre d’Alice Carabédian, et Tendresse Radicale, un manifeste – Radical Tenderness Manifesto (2015) – de Dani et Daniel : https://danidemilia.com/radical-tenderness/


Pour en savoir plus :

Hacker la guerre : https://antrepeaux.net/hacker-la-guerre/ (22-26 février 2022)

Hacker le réel : https://antrepeaux.net/hacker-le-reel/ (3 et 4 juin 2022)

Hacker et repenser l’exil (et ses mémoires) : https://antrepeaux.net/hacker-lexil/ (3 et 4 mars 2023)