En complément du Lexique franco-punk édité sous la direction de Luc Robène et Solveig Serre dans le cadre du projet PIND.
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Plus que les mythiques Olivensteins ou encore Gazoline, le groupe Guilty Razors fait partie des formations injustement oubliées et éphémères de la première vague punk. Formé en 1975 et composé de Tristam Nada, des frères Perez (Carlos et Juan José), Jano Homicid et Spinal Tap, le groupe n’a enregistré qu’un seul 45t en 1978 sur le label Polydor [1]. Ses deux titres phares « Don’t wanna be a rich » et « Provocate » sont alors souvent diffusés dans l’émission PoGo d’Alain Maneval mais les ventes ne décollent pas. Leur label qui a pressé 8000 exemplaires de cet opuscule chanté en anglais envoie la plupart au pilon et, exaspéré, rompt son contrat avec le groupe. En effet, celui-ci s’est fait une réputation sulfureuse à cause de quelques sévères méfaits au sein du show biz français (la légende parle de séquestration du boss de Polydor, de soirées destroy et de vols).
Scéniquement, le groupe fit une prestation remarquée lors de la nuit punk à l’Olympia le 10 juillet 1978 (I was here) en clôture du festival à la suite duquel les sièges sont réduits en miettes. Mais malgré cette visibilité qui présupposait une suite vinylique plus importante le groupe devait disparaître comme toute bonne formation punk trois ans après sa création pour des questions liées à la drogue et à l’image de mauvais garçons qui leur colle à la peau. Ton stoogien et inspiration du Velvet Underground, les titres des Guilty Razors sont marqués du spectre du terrorisme des années de plomb (RAF, Brigade Rouges…) et de la provocation volontaire de la fin des années 1970. En outre, cest le seul groupe français qui dédicace deux disques au groupe féminin The Slits (celui de 1978 et le LP de 2006).
En 2006, le groupe sort « Guilty ! » sur le label Seventeen un album posthume, celui qui ne put voir le jour en 1978 [2]. Ils accompagnent ce LP d’une dédicace explicite en espagnol aux labels qui n’ont pas voulu leur donner une chance : « Vete a tomar por culo ! ». Ce témoignage post-mortem révèle leur talent chaotique, leur son noisy et les sources d’inspiration subversives d’une formation aussi originale que Métal Urbain ou Asphalt Jungle. Si cet album était sorti en temps voulu suivi d’une tournée, à n’en pas douter, les Guilty Razors auraient fait trembler la France conservatrice de l’époque. Le destin en aura voulu autrement. Les Guilty ne purent « devenir riches » même après leur tournant variété au sein de Bandolero comme le rappelait Tristam, l’ancien chanteur du groupe devenu artiste-plasticien, lors d’une rare interview sur Vice [3]. Ce fut là la chance de leur vie.
FG
Les Guilty Razors participants au podium de l’émission « Blue Jean » (Blue Jean d’Or) présentée par Jean-Loup Lafont. La France des années 70, play back et effets très spéciaux.
Notes
[1] 45t réédité en 2006 chez Seventeen en vinyles bleu, blanc, rouge ou noir. Difficile à trouver, l’édition originale vaut des centaines d’euros. Voir la notice sur Discogs : https://www.discogs.com/artist/444508-Guilty-Razors
[2] Notez que l’album de Métal Urbain ne vit le jour qu’en 1981 alors que le groupe original n’existe plus, transformé en Metal Boys et Doctor Mix and The Remix depuis 1979.
[3] RodGlacial, « Les Guilty Razors ne sont jamais devenus riches », Vice, 10/11/2016. URL : https://www.vice.com/fr/article/bnj5dd/les-guilty-razors-ne-sont-jamais-devenus-riches
Photo : Guilty Razors (détail) © Vice