Toutes les vies… perdre les sens et trouver le sens.


Autant j’ai lu le texte de Rebeka Warrior en l’espace d’une journée, autant j’ai mis du temps à le comprendre, à vouloir en attendre une explication, une ambition raisonnée, une construction évidente. Or « Toutes les vies » est une expression littéraire difficile à cerner et c’est sans doute cela qui fait sa force. Confession (im)pudique, gestuelle onirique, récit initiatique, littérature poétique, performance surréaliste, le texte revêt de multiples facettes à travers un fil conducteur puissant : amour, maladie, mort résurrection.

Lorsque l’on perd quelqu’un que l’on aime, la punition est affreusement divine ou diabolique, brutale ou attendue, on se perd soi-même dans la fuite, la colère, l’angoisse ou une libération qui n’existe pas. Le texte de Rebeka Warrior est fait de tout ceci, déconstruit et saccadé comme un rêve, impudique pour cacher le malheur absolu, poétique pour tenter de conserver de l’autre quelque chose de son âme… L’absurdité de la vie qui défile et de la mort qui arrive et que l’on ne peut reculer ni apprivoiser nous habite qui que nous soyons. « Toutes les vies » sont concernées car elles sont ainsi. Et pour l’accepter, s’y résoudre, la résurrection est la seule voie… sinon c’est la chute, le gouffre interminable de l’angoisse, le questionnement de l’absurde (pourquoi moi ? Alors que c’est justement l’autre qui est partie) et la haine possible contre ce monde injuste, forcément.

Le récit de Rebeka Warrior est une survivance, une ode au dépassement de soi. Comment se débarrasser de ce qui nous a tant imprégné dans l’amour ? Comment vivre quand l’explosion des sens s’en est allée ? Une voix, une odeur, une fusion des chairs, une beauté physique, la forme d’un sein, ou intellectuelle, la fusion d’une idée. Rebeka Warrior apporte une solution à son désarroi faite de chamanisme puis de bouddhisme. Rien ne reviendra, il faut faire son deuil, trouver le sens, vivre avec l’absence, apprivoiser le vide et aimer ce vide.

Texte limpide et complexe, dramatique et ludique, déroutant et intime, la confession onirique de Rebeka Warrior nous invite à saisir quelque chose du destin. Poésie fragmentée, fébrile et jaillissante, aigre-douce, sa prose nous déroute, sort du cadre pour saisir l’insaisissable. Quelque part ce texte parait inutile ou étrange et c’est ce qui nous saisit, on y reviendra à plusieurs fois, comme une envie indépassable de le relire comme on relirai un recueil de poésie, un livre de prières, ou comme l’on regarde un tableau ou une photographie pour en saisir les détails oubliés, comme on écoute une chanson… polyphonique, multiple, explicite mais secret, banal et magique. « Toutes les vies » restera longtemps dans nos bibliothèques ou sur nos tables de chevet pour assouvir ce besoin irrépressible d’y revenir.

FX, 16 septembre 2025. Écrit à Montréal.

Réf. : Rebeka Warrior, Toutes les vies, Paris, Stock, 2025.

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