Compte-rendu de notre intervention au PiND le samedi 16 novembre 2024. Colloque « Une histoire globale de la scène punk en France (1976-2016) », Le Réacteur, Issy-les-Moulineaux, 15 et 16 novembre 2024.
Au cours de sa brève et intense existence (7 ans), Bérurier Noir (BxN) s’est auto-défini comme un groupe de folklore appartenant à la zone mondiale, celle des marges musicales et alternatives, réelles ou imaginées. Situé en France et plus particulièrement dans la région parisienne, banlieue Est comprise, le groupe a connu deux types de circulations hors des frontières hexagonales. La première en Europe mais de façon assez limitée en se produisant dans quatre pays dont deux limitrophes : la Suisse et la Belgique, puis en Hollande et en Irlande. La seconde hors de l’Europe au Canada et plus particulièrement au Québec avec des continuités jusqu’à nos jours.
Prélude des futures connexions européennes, dès 1981, le groupe Les Béruriers (pas encore BxN) entreprend une correspondance sans lendemain avec le label italien Attack Punk Records et le groupe RAF Punk originaire de Bologne. Il s’agit d’une échange de K7 et de graphisme entre les deux formations. Avec la fondation de Bérurier Noir les connexions se font rapidement grâce au label VISA qui organise le festival Rising Free le 8 octobre 1983 avec le groupe anglais Subhumans et plus tard le 7 avril 1984 un autre concert avec Poison Girls. A travers ses productions K7 et ses concerts VISA avait établi des connexions avec la scène alternative outre-Manche comme The Insane, D.K. Decay, Rubella Ballet ou Foreign Legion, permettant à ces groupes de se produire à Paris, notamment au squat de la rue des Cascades et à l’usine Pali-Kao.
Alors que le groupe BxN avait un an d’âge, les pérégrinations européennes ont été illustrées en 1984 par deux concerts vraiment épiques, le premier à Bruxelles et le second à Dublin. En particulier le concert de Bruxelles dans un festival de rockabilly Fifties a été joliment raconté par Laul dans l’ouvrage d’Erwan Marcil consacré au groupe (p. 59-60, passage lu lors de la communication orale).
Entre 1983 et 1989, l’Europe a donc été partiellement écumée dans un périmètre relativement serré avec 10 sorties en Belgique (4 sorties) et en Suisse (6 sorties lors de trois mini-tournées). Le groupe a joué également à deux reprises en Hollande notamment avec les Porte-Mentaux en 1985. Pas une seule fois le groupe n’a joué en Espagne, en Italie ou en Allemagne. C’est assez surprenant car nous vendions des disques jusque dans ces terres pas très lointaines mais les opportunités ne sont pas arrivées. Notons qu’en 1988, le groupe punk espagnol Kortatu diffusé par Bondage International en France partagea la scène avec nous au Zénith de Paris.
Par contre, notre histoire avec le Québec s’est inscrite dans la durée. Nous y avons fait deux belles tournées en novembre 1988 et en octobre 1989, organisées par Tir Groupé et Cargo Records, la première étant soutenue par l’Office franco-québecois pour la jeunesse. Sur le plan personnel, le Québec fut aussi une terre de conquête de Molodoï qui y tourna le clip « La complainte des ouvriers » en 1995 et cette province est terre natale du groupe Les Anges déchus (1999-2002). Avec les Anges nous avons enregistré un album au cœur du Quartier latin de Montréal en 2000 avant de faire quelques dates en France pour soutenir notre LP Carnet de déroute, sorti chez Last Call Records en octobre 2001.
En 2004, le grand retour de Bérurier Noir à Québec, lors du festival d’été sur les plaines d’Abraham fut des plus impressionnants rassemblant par sous un orage diluvien plus de 50.000 personnes dans une plaine de boue. Il est important de rappeler que le concert s’est déroulé sans aucun « commanditaires » : un concert No Logo (sans publicités) dans la veine philosophique de Naomi Klein et pris en main par notre S.O. mené par Julien Brigada et nos ami-es québécoi-es. Toute cette aventure a été filmée et dûment documentée par Stef Bloch dans « Terre libérée », un témoignage unique et émouvant de cette dernière aventure québécoise…
Dernière aventure ? En réalité non, car en septembre 2024, soit vingt ans après le déluge des plaines d’Abraham, No Suicide Act choisit Montréal pour inaugurer ses apparitions scéniques.
Ces pérégrinations hors de France appellent plusieurs remarques :
Bérurier Noir n’est pratiquement jamais sorti de l’espace francophone… (Québec, Suisse, Belgique). Cependant, il possédait un public potentiel en Espagne, en Allemagne, en Hollande… concrétisé par des ventes de disques, une licence espagnole pour Abracadaboum avec le label Oihuka et une réédition très récente de Macadam Massacre (2023) chez Radiations Records en Italie. Ces connexions avec les pays voisins furent illustrées par l’invitation des premières parties pour les concerts ultimes de l’Olympia. Deux premières parties sur trois soirs furent dédiées à deux groupes européens : à un groupe belge (La Muerte) et un autre soir à un groupe allemand (Die Toten Hosen). Les Cadavres furent le seul groupe français à jouer un soir lors de ce triptyque mémorable dédié à la mort.
Sur le plan des lieux investis, il s’agissait souvent de squats (par exemple en Hollande ou en Suisse) ou de lieux alternatifs. La seule entorse à ce régime, parfois rude pour les conditions mais toujours à grande portée d’humanité, fut l’intrusion du groupe au sein du glacial Hilton en 2004 à Québec.
Enfin, il faut rappeler les difficultés de circulation pour le groupe. A l’époque toute sortie de territoire était contrôlée par les douanes à travers un carnet ATA (Admission Temporaire/Temporary Admission) sur lequel devait être mentionné l’exclusivité du matériel musical donnant à des contrôles poussés aux douanes. La maréchaussée suivait aussi nos pérégrinations à la trace comme pour le concert de Bayonne en 1988 qui faisait suite à l’affaire Black War et aux amalgames de la presse de droite incriminant le groupe comme branche culturelle d’Action Directe !
En conclusion, si Bérurier Noir s’est révélé être un groupe de folklore français à dimension universelle, il s’est forgé en son sein un espace trans-francophone en agrégeant à la troupe deux personnalités importantes de ses spectacles : Jojo Napalm, Belge (lui-même organisateur d’un concert Bérurier Noir en 1986 en Belgique) et MichBoul, Québécois (Michel Vézina) notre ultime « coordinateur » (après Marsu), poète et clown sur scène. Plus que toute démonstration quantitative, ils forment à eux deux la dimension trans-francophoniques de nos (merveilleuses) aventures extra-frontalières.
FX, 21/11/2024 MàJ
L’ensemble des interventions du colloque seront disponibles sur le site du projet PiND : https://pind.univ-tours.fr/events/une-histoire-globale-de-la-scene-punk-dans-le-monde-1976-2016/