Anarchy in the musée. De la délicate muséographie des marges

Un article de Luc Robène et Solveig Serre (projet PIND) à lire en p. 27-29 dans la Lettre de l’Institut des Sciences Humaines et Sociales du CNRS. Extrait.

La muséographie est au centre des préoccupations du projet PiND, par contraste — comme un élément problématique d’un point de vue épistémologique et anthropologique — et comme enjeu décisif. Car notre objet d’étude est profondément paradoxal : la muséographie d’un mouvement dont l’autodestruction faisait figure de manifeste (en témoigne le fameux slogan No Future) n’est pas une tâche aisée ; du moins ne va-t-elle pas de soi. L’opposition à toute forme de conservation et d’exposition — même si la mise en spectacle de l’éphémère et de la disparition constitue précisément une clef de subversion et de provocation essentielle pour le punk — est d’une certaine manière consubstantielle au mouvement et à ses lignes idéologiques originelles, et donc à son identité même.

La destruction récente, volontaire et assumée, par Joe Corré, des archives et objets cultes de ses célèbres parents, le manager des Sex Pistols Malcolm Mac Laren et la créatrice de mode Vivienne Westwood, pour commémorer les quarante ans du punk inventé par ses parents à Londres, représente sans doute l’une des manifestations les plus extrêmes et provocantes de ce refus de l’enfermement muséal du punk. Dans ce rapport des punks au temps, marqué par une injonction paradoxale — se souvenir d’un passé sans avenir et célébrer cette absence de futur comme constitutive d’une identité —, la mémoire et l’histoire cohabitent de manière souvent conflictuelle. Exposer l’histoire de la scène punk en France revient donc à prendre en considération des faits objectivables, mais suppose également d’intégrer les éléments sensibles qui participent à structurer la mémoire des acteurs et à définir un récit collectif alors que chacun détient sa vérité.

Une autre difficulté, et non des moindres, consiste à conférer de la légitimité à un objet considéré avec circonspection dans la société (qui le réduit souvent à l’image du marginal violent à crête, tatoué et percé, ou du punk à chien) et jouissant a fortiori d’un statut problématique dans le champ académique en France (pour des raisons de cloisonnements disciplinaires, de la prédominance de la sociologie et des approches bourdieusiennes de la culture). Dans le même temps, il faut également faire accepter aux acteurs de la scène punk, ceux-là mêmes qui constituent notre objet d’étude, l’idée que des scientifiques allaient travailler sur leurs pratiques artistiques et leurs usages sociaux sans leur voler quoi que ce soit, sans figer ni « muséifier » précisément ces mondes vécus. Aussi la plus grande prudence pour manier cette perspective muséographique s’impose-t-elle.

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Illustration : Vivienne Westwood et sa création Destroy © DR