J’ai beaucoup hésité entre plusieurs choix de textes pour vous proposer ce dernier et troisième préalable de l’exposition/installation “24 héroïnes électriques”. En réécoutant Virginie Despentes, en lisant Andréa Dworkin, Elsa Dorlin ou Carolin Emcke, j’ai choisi cette dernière. Deux extraits de textes tirés de Quand je dis oui… Un monologue (Seuil, 2019), le premier pour exprimer la nécessité de parler (se taire c’est être complice), celle de nommer les actes (tels qu’ils sont), et le second texte contre l’enfermement de la pensée dans une position figée. Ces deux extraits peuvent paraître contradictoires mais ils se complètent.
A propos des féminicides, Virginie Despentes rappelle une évidence dans son dialogue avec Victoire Tuaillon sur les violences conjugales : “Quand t’es vivant et quand t’es pas vivant, il y a une vraie différence… mort ou vivant… Donc si tu as été insulté et que tu es encore vivant, c’est pas du tout pareil qu’être morte. Vraiment, il y a deux mondes”. Lorsque l’on ne nomme pas les choses, Carolin Emcke nous dit : “Ainsi devient taboue la parole sur l’acte criminel, et non l’acte lui-même”. Extraits :
Ce qui peut arriver, ce qui est arrivé, encore et encore, et que des générations de filles et de femmes (pas seulement, mais majoritairement…) ont vécu avant nous, ce qui continue d’arriver, partout dans le monde, sur le chemin de l’école, sur le chemin du puits, sur le chemin du champ ou celui de la maison, ce qui peut nous être fait dans ces situations : on ne le nomme pas. Déjà nos grand-mères étaient mises en garde de cette façon – à mot couverts. Que nous puissions être attaquées, attrapées, dupées, manipulées, enlevées, dans une voiture, un buisson, une forêt, une cabane, une cave, abusées, étranglées, violées, blessées et tuées, personne ne le disait. Ce qu’on disait encore moins : que le danger peut provenir non seulement des inconnus, du dehors, mais aussi et surtout dans notre cercle intime, notre propre foyer, notre propre famille. “Ne te laisse pas emberlificoter” […]
Il s’agit juste de taire. Taire ce que quelqu’un peut nous faire. Comme si en parler était obscène – au lieu de réprimer l’acte, on réprime la parole qui le nomme. Ainsi devient taboue la parole sur l’acte criminel, et non l’acte lui-même. […]
Source : Carolin Emcke, Quand je dis oui… Un monologue, Paris, Éditions du Seuil, 2019, p. 11-13.
Il est essentiel de cultiver la multiplicité des voix et des expériences, la réflexion sur (nos propres) prise de position, mais aussi, précisément, le changement de perspective, la volonté de reconsidérer le rapport aux autres et les structures au sein desquelles nous évoluons. Et, à bien y réfléchir, c’est ce qui se passe en permanence, car nous ne nous situons jamais dans une seule posture, un seul contexte, un seul rapport de pouvoir. Au contraire, nous nous ancrons dans des hiérarchies et des configurations multiples. Différentes expériences de discrimination se croisent mais aussi différents privilèges, et ainsi chaque personne forme-t-elle des alliances et des complicités changeantes, comme sont changeantes nos différences et nos divergences.
Source : Carolin Emcke, Quand je dis oui… Un monologue, Paris, Éditions du Seuil, 2019, p. 65.
Pour en savoir plus : site de l’auteure.